Table des matières
[ad_1]
Parmi les nombreux appels lancés aux hommes de science afin qu’ils se rapprochent du public non spécialisé, certains pensent au contraire que les écrits scientifiques doivent maintenir une distance et rester à l’écart du grand public.
Leur avis : que les spécialistes n’essaient même pas de transmettre leurs recherches à monsieur Tout-le-Monde. Et beaucoup de scientifiques obtempèrent en écrivant d’une manière si ampoulée que cela est tout à fait inintelligible pour le grand public (et pour leurs collègues).
Voici donc quelques-unes des astuces utilisées par ces scientifiques pour écrire de façon boursouflée. Ces méthodes restreignent la science à une audience la plus petite et la plus spécialisée possible. Mais attention, les auteurs ! Écartez-vous de ces méthodes et vous risquez de trouver un public pour vous lire.
Qui a fait quoi ?
Vous connaissez certainement déjà le penchant des journalistes pour « qui », « quoi », « où », « quand », « pourquoi » et « comment ». Il s’agit là des questions essentielles pour créer un récit captivant (du moins, selon les journalistes). Mais pour les scientifiques qui veulent rester dans leur tour d’ivoire, le bon truc est de laisser tomber le « qui ».
D’où les formulations passives « il a été trouvé que… » de préférence à « j’ai trouvé », ou « les scientifiques ont découvert… ». L’usage excessif de cette forme passive conduit facilement à supprimer toute la construction et tout le brio de l’écriture scientifique.
Ce genre de style désincarné a constitué autrefois la règle absolue dans beaucoup de journaux spécialisés, mais même un bastion scientifique comme la revue Nature préfère les formulations actives. Il est terminé le temps où les scientifiques s’exfiltraient de leurs propres manuscrits.
Cela dit, certains organismes de financement et certains journaux encouragent encore cette façon d’écrire à l’ancienne. Par exemple, dans des centaines de résumés de l’Australian Research Council Discovery Project, le mot nous apparait au moins trente fois. J’ai même vu des guides destinés aux étudiants encourageant l’utilisation du passif. Sympa de voir que la dévotion de l’université aux traditions ancestrales ne se limite pas à des cours ennuyeux et à des tenues idiotes lors de la remise des diplômes.
Que vaut une illustration ?
Un scientifique écrivant sur la science peut être obligé d’utiliser des images et des schémas, au risque de communiquer clairement et de façon concise. Dire qu’une image vaut un millier de mots ? Faux !
La clef de l’image scientifique ou du schéma figure souvent dans la légende. Je peux vous montrer un schéma mesurant la distance et la vitesse d’une supernova, mais si vous n’avez pas l’habitude des schémas et de leurs conclusions, cela ne vous dira rien. Sa signification digne d’un prix Nobel risque de vous rester cachée.
Une légende peut vous indiquer quoi regarder, vous mettre en garde à propos des subtilités de l’image, ou simplement vous dire ce que les axes représentent. Une légende mal rédigée est la garantie que l’illustration sera bien moins parlante qu’un millier de mots. A contrario, une légende excessivement longue peut enfouir les points clefs dans une masse de texte.
Et il y a même, avec les images et les schémas, encore davantage de moyens de maintenir la science à l’abri des feux de la rampe. Des scientifiques choisissent des tailles de caractères, des symboles et des couleurs qui n’apparaissent pas bien une fois projetés sur un écran. Une touche de désordre peut également entraver la compréhension. Tout cela réduit la possibilité de voir les illustrations comprises par un public, qui devient de moins en moins nombreux.
Le langage
Il y a toutes sortes de moyens pour les scientifiques de bloquer la communication par un mauvais emploi du langage. Un jargon inutile et des acronymes (JIEA) constituant un bon point de départ. Ainsi, une étude récente a démontré que les scientifiques fraudant leurs résultats utilisent davantage de jargon que les autres, vraisemblablement afin d’obscurcir le vrai résultat de leurs « recherches ».
Des gens de science peuvent aussi noyer l’impact de leurs travaux dans un langage prudent à l’excès. Ou peut-être ont-ils la faculté de noyer tout impact dès leur étude préliminaire, grâce à une formulation qui peut, dans certaines circonstances, se nourrir de précautions excessives.
Des savants peuvent aussi se mettre le public à dos. Affirmer, sans aucune analyse quantitative, que quelque chose est « évident » ou « clair », voilà un bon début. Ils peuvent même vouloir faire abstraction de leurs données de base, si bien que le texte ne colle pas à l’analyse. Des scientifiques peuvent être agréablement surpris de voir le nombre de fois où ils peuvent s’en tirer ainsi ).
Ce que j’ai fait avec ma science
Il existe un moyen incroyable de s’épargner des efforts : porter une dévotion absolue à la chronologie. Certains auteurs scientifiques n’organisent rien, ne synthétisent rien et se contentent de suivre obstinément le développement temporel de ce qu’ils écrivent. Vous êtes peut-être familier de ce style du niveau des rédactions du cours élémentaire, comme ce classique intemporel « Ce que j’ai fait pendant mes vacances » !
La quête scientifique n’est pas particulièrement linéaire. Il y a des impasses méthodologiques, des analyses répétées, des questions inédites et l’irruption inattendue d’authentiques intuitions. Avec l’expérience et le recul, un chercheur ferait, sans aucun doute, les choses différemment mais sans avoir besoin de partager cette expérience avec d’autres.
Plutôt que de résumer des impasses méthodologiques, on peut leur consacrer des pages, si marginal qu’en soit le bénéfice pour autrui. Une dévotion d’esclave à la chronologie permet à certains scientifiques de rester embourbés dans la méthode, plutôt que de se laisser distraire par les motivations et la découverte.
Des scientifiques peuvent, en les éparpillant, dissimuler les questions de fond et les intuitions clées dans leur texte (idéalement au milieu de paragraphes). Ils seront alors ignorés de tous à l’exception de leurs lecteurs les plus assidus.
Avec ces techniques simples, ils peuvent résister aux sirènes de leurs rendez-vous avec le public. On peut éviter les questions d’intérêt et d’intuition scientifiques en gardant le grand public à distance.
En vérité, grâce à leur suffisance et leur dévotion envers ce style d’écriture pompeux et désorganisé, ces scientifiques peuvent en arriver à se cacher à eux-mêmes tout intérêt et toute intuition scientifique.
[ad_2]
Michael J. I. Brown, Associate professor, Monash University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.