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Humour

humour féminin et obscénité positive

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Un tiers environ des humoristes aujourd’hui sont des femmes, à l’image de Nora Hamzawi, Florence Foresti, Blanche Gardin, et bien d’autres encore. Pourtant, le rire a longtemps été une prérogative des hommes, comme le rappelle l’historienne Sabine Melchior-Bonnet dans son essai, Le rire des femmes, une histoire de pouvoir (PUF, 2021).

Depuis l’Antiquité, le rire a le plus souvent été considéré comme « contraire à l’image de la femme modeste et pudique », écrit l’historienne. Celle qui pouffait en public était volontiers assimilée à une prostituée ou encore, plus récemment, à une folle hystérique, tandis que l’homme qui plaisantait, même de manière très osée, ne faisait pas l’objet d’une semblable réprobation.

Les sources antiques confirment cette discrimination par le rire, tout en nous offrant néanmoins quelques rares figures de femmes humoristes. Il ne s’agit pas de personnages historiques, mais de figures mythologiques. Elles montrent néanmoins que rire et faire rire n’étaient pas ressentis comme des prérogatives exclusivement masculines par les Grecs ou les Égyptiens de l’Antiquité.

Le rire de Déméter

L’une des plus anciennes de ces humoristes se nomme Iambé. Elle est mentionnée dans l’Hymne homérique à Déméter, une œuvre poétique grecque composée au VIᵉ siècle av. J.-C.

Statuette dite Baubo, terre cuite, Iᵉʳ-IIᵉ siècles apr. J.-C. Musée Rodin, Meudon.
Author provided

Dans cette œuvre, nous apprenons que la déesse Déméter est désespérée parce qu’elle a perdu sa fille Coré, enlevée par Hadès, le dieu des Enfers. Déméter a pris l’aspect d’une vieille femme en deuil. Elle erre sur la Terre pendant plusieurs jours, avant d’arriver à Eleusis, non loin d’Athènes. Là, elle est accueillie par Métanire, épouse du roi local, mais, immobilisée par la douleur, elle refuse de boire et de se nourrir. C’est alors qu’intervient une servante nommée Iambé : elle lance à la déesse « mille paroles joyeuses », dit le texte. La nature de ces bouffonneries n’est pas précisée, mais on devine que Iambé (dont le nom évoque la poésie iambique, c’est-à-dire satirique), profère des plaisanteries obscènes. Une obscénité efficace, puisque la déesse sort enfin de son mutisme et accepte la boisson qui lui est proposée.

Un autre hymne à Déméter, composé par un certain Philikos, connu grâce à un papyrus du IIIe siècle av. J.-C., malheureusement fragmentaire, présente Iambé comme une vieille paysanne inculte et bavarde dont la drôlerie renversante interpelle la déesse.

La danse de la vulve

Dans une autre version de ce mythe, racontée par les auteurs chrétiens Clément d’Alexandrie (vers 150-215), Arnobe (vers 240-304) et Eusèbe de Césarée (vers 265-339), l’humoriste d’Eleusis se nomme Baubo. Elle allie cette fois le geste à la parole : elle retrousse sa tunique pour montrer sa vulve à la déesse. Surprise par ce spectacle inattendu, Déméter y trouve une soudaine consolation et sort aussitôt de sa torpeur.

Isis Baubo, terre cuite, Iᵉʳ-IIᵉ siècles apr. J.-C.
Ägyptisches Museum Leipzig, Author provided

Dans son récit, Arnobe (Adversus Nationes V, 26) nous donne quelques précisions sur la gestuelle de Baubo : par une sorte de tour de magie et de danse du ventre, ou plutôt du bas-ventre, elle fait prendre à sa vulve épilée la forme d’un visage d’enfant. Comment s’y prend-elle ? Peut-être a-t-elle dessiné, à l’aide de maquillage, un visage de bébé sur sa vulve, ou bien juste au-dessus. Puis, comme une ventriloque, elle produit des sons en donnant l’illusion que c’est le bébé sur sa vulve qui parle ou qui chante.

Quoiqu’il en soit, c’est à nouveau l’efficacité du geste de l’humoriste qui est soulignée, mais aussi, pour les trois auteurs qui sont chrétiens, une occasion de ridiculiser la religion polythéiste des Grecs. Ainsi Clément d’Alexandrie ironise-t-il : « Beaux spectacles et qui conviennent à une déesse ! » (Protreptique II, 20). Les auteurs chrétiens reprochent à la mythologie grecque d’avoir accordé une place, certes très limitée, mais une place tout de même au rire féminin.

L’obscénité positive

Si les polémistes chrétiens n’y ont vu qu’indécence, le mythe de l’humoriste d’Eleusis traduit l’idée d’une obscénité apotropaïque et cathartique, capable de dérider un être en proie au plus profond des chagrins. C’est une forme de grossièreté positive qui délivre un message tout à fait sérieux : Baubo rappelle à la déesse la puissance féminine que représente la vulve, promesse de maternités futures. On peut donc aussi voir dans ce spectacle un geste de solidarité entre femmes.

En raison de son succès, la servante qui parvint à dérider Déméter fut parfois considérée comme une véritable divinité par les Grecs. Ainsi, une inscription cultuelle retrouvée dans l’île de Naxos, datant du IVe siècle av. J.-C., mentionne le nom de Baubo, en quatrième position, après Déméter, sa fille Coré et Zeus. Une sorte de déité patronne du rire bénéfique.

« Perrette et le démon de Papefiguière », illustration de Charles Eisen.
Wikimedia

Un mythe universel

L’interprétation du mythe de Baubo a fait couler beaucoup d’encre. Des historiens et archéologues ont mis le dévoilement de la vulve en relation avec certaines pratiques du culte de Déméter qui pouvaient inclure la manipulation d’objets sexuels, ou encore avec des insultes qui auraient pu être proférées rituellement.

L’humoriste d’Eleusis a aussi attiré l’attention d’écrivains. Rabelais se souvient probablement d’elle lorsqu’il imagine l’épisode de la femme de Papefiguière qui fait fuir le diable en soulevant sa robe (Pantagruel, Le Quart Livre, XLVII).

Cette histoire inspira également Jean de La Fontaine : dans son conte, « Le Diable de Papefiguière », une paysanne nommée Perrette affole un démon en exhibant la « balafre » qui parcourt le creux de ses cuisses.

Plus tard, Goethe redonne à Baubo son nom antique, avant que Nietzsche et Freud, à leur tour, s’intéressent à cette troublante figure.

Le psychanalyste Georges Devereux lui a même consacré un livre. Selon lui, l’exhibition de la vulve est un pur « produit fantasmatique de l’inconscient » humain. C’est pourquoi des figures comparables à Baubo se retrouvent dans d’autres cultures, hors du monde grec.

Elodie Yung dans le rôle de la déesse Hathor (Gods of Egypt, 2016).
Author provided
Ame-no-Uzume, en version manga.
Author provided

En Égypte, la déesse Hathor, incarnation de la joie et de l’érotisme, montre sa vulve au dieu du Soleil Rê qui donne parfois quelques signes de faiblesse (Papyrus Chester Beatty I).

Face au strip-tease de la divinité, le dieu éclate d’un rire puissant et fécond qui lui permet de retrouver tout son rayonnement. Une vulve et un rire bénéfiques, comme dans le mythe grec, sauf que le geste de Baubo, destiné à une divinité féminine, ne revêtait pas la dimension érotique de la légende égyptienne.

Au Japon, c’est la déesse Ame-no-Uzume qui dévoile son corps, provoquant l’hilarité de son public divin et permettant par la même occasion, comme Hathor, aux rayons solaires d’éclairer à nouveau le monde.

« Et quand ils virent son corps robuste et replet comme celui d’une petite fille, l’aise entra dans le cœur de tous et ils se mirent à rire. », écrit Paul Claudel dans un poème en prose inspiré du mythe japonais (« La délivrance d’Amaterasu », Connaissance de l’Est, 1920).

Statuette de « femme-vulve » dite Baubo, terre cuite, provenant du sanctuaire de Déméter à Priène, Asie Mineure, entre le IVᵉ et le IIᵉ siècle av. J.-C. Berlin, Antikensammlung.

Des statuettes de Baubo ?

En 1898, les archéologues allemands fouillant les restes du temple de Déméter à Priène, en Asie Mineure (actuelle Turquie), réalisèrent une découverte qui les laissa perplexes. Une série d’étonnantes statuettes de « femmes-vulves » furent mises au jour. Elles se trouvent aujourd’hui à Berlin (Antikensammlung).

Elles n’ont pas de têtes à proprement parler : leur visage est inscrit sur leur ventre et leur vulve se trouve au niveau de leur menton. S’agissait-il de figurer le tour de magie de Baubo qui fit apparaître un enfant au-dessus de sa vulve ?

Baubo, époque romaine, statuette conservée au musée Rodin.
Musée Rodin
Auguste Rodin, « Iris messagère des dieux ».
National Gallery, Oslo, Author provided

D’autres statuettes, provenant d’Égypte, où elles furent réalisées entre le IIIe siècle av. J.-C. et le IIIe siècle apr. J.-C., représentent des femmes enceintes accroupies touchant leur vulve de la main droite. C’est pourquoi elles furent elles aussi associées au mythe de Baubo. Ces figurines étaient sans doute utilisées comme des amulettes pour protéger les femmes enceintes, à une époque où beaucoup de femmes mouraient en couches ou lors de leur accouchement.

Le musée Rodin à Meudon possède quelques-unes de ces étonnantes figurines dont le sculpteur avait fait l’acquisition.

Il n’est pas impossible que Rodin se soit inspiré ou souvenu de ces statuettes quand il réalisa son « Iris, messagère des dieux », à la fin du XIXe siècle.

En effet, par sa pose, la déesse de Rodin focalise l’attention sur sa vulve, comme Baubo dans le mythe antique. Iris paraît figée au moment où elle réalise une sorte de danse de la vulve. Encore une vulve bénéfique qui attire notre regard et nous détourne, au moins pour quelques instants, de notre tristesse, de nos angoisses et des malheurs auxquels nous pouvons être confrontés.


Christian-Georges Schwentzel a participé à l’émission « Le doc stupéfiant : Le sexe du rire », réalisée par Julie Peyrard et Lise Thomas-Richard, diffusée sur France 5, le 10 décembre 2021, et disponible en streaming.

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Christian-Georges Schwentzel, Professeur d’histoire ancienne, Université de Lorraine

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

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